Journée de Noces
chez les Cromagnons

Les gens de mon pays sont indésespérables malgré tout leur désespoir, et demain, vous les verrez remettre des vitres à leurs fenêtres, replanter des oliviers, et continuer, malgré la peine effroyable, à sourire devant la beauté.

Wajdi Mouawadle Devoir 2005

Journée de Noces chez les Cromagnons est le combat d’une famille pour faire croire que la vie continue, imperturbable malgré la guerre.

Les parents s’aiment et se déchirent. Le fils aîné est parti au combat. Combattre quoi exactement ? Qui exactement ? Le benjamin l’attend, l’idéalise, joue à être un enfant. La fille est-elle folle? Demeurée? Ou la seule à ne pas être contaminée par la violence et l’horreur de cette vie ?

C’est la journée de noce de Nelly. On invente un rêve histoire de croire et faire croire que la vie est belle et que la guerre n’est qu’un feu d’artifice.

 Les personnages de Journée de Noces chez les Cromagnons n’en peuvent plus de se retenir de vivre. Ils veulent courir sous les bombes, se marier au grand soleil, manger jusqu’à écœurement… Lutte pour survivre, pour que le rêve et le plaisir persistent, que la beauté existe.

Résister par la comédie, par le plaisir de croire que le bonheur est encore possible.
Résistance illusoire, orgueilleuse ; mais honnête et courageuse.

On joue à faire semblant que c’est la noce. Pris au jeu, les personnages osent ce qu’ils n’ont jamais fait ou dit auparavant. Journée de noces chez les Cromagnons est une partie de cache-cache avec la mort où, hommes, femmes et enfants mettent leur dernière énergie à jouer un sale tour à la guerre.

Note d’intention

La guerre du Liban a rythmé ma petite enfance avec le décompte des jours de détention des otages du Hezbollah. Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire : chrétien, musulman, druze, phalangiste, Sabra et Chatila… C’était pour moi une guerre de noms, une guerre grise avec des chars et des balles tirées depuis des immeubles effondrés. Je n’en ai reçu que des informations froides. Je n’ai pas non plus idée de ce qu’est une guerre fratricide : seuls des sons et des images me parviennent à travers le filtre des médias. Pourtant ces personnages me parlent. Ils font écho à notre morosité, à notre défaitisme. À l’adversité, ces combattants opposent le rêve et le fantasme.

En lisant Journée de noces chez les Cromagnons 20 ans plus tard, je réalisai ce qui me manquait dans l’objectivité des informations : comment des « autres nous-mêmes » vivent au milieu du cahot. Comment grandit-on ? Comment se construit-on au milieu des bombes ? A quoi rêve-t-on ? Ces gens puisent leur force dans la joie de vivre. Cette façon d’éprouver l’Histoire, de tordre le cou au destin, témoigne du désir obsessionnel des peuples en souffrance à placer la joie au-dessus de la douleur. L’urgence à vivre développe une force invincible : la fête est un antidote aux malheurs qui révèle par contraste l’obscénité de notre goût pour la tristesse.

Mylène Bonnet – metteuse en scène

Extraits

«  Pourquoi la guerre est-elle si admirable? Pourquoi suis-je incapable d’en détacher les yeux? Ce feu d’artifice! Cela est si beau ! Maman, je suis agenouillée à la fenêtre grande ouverte, éveillée, je contemple l’horreur avec ravissement! Ah! j’ai tant de peine à garder mes yeux fermés! Cela est si beau. Là-bas, des immeubles s’écroulent : la ville tombe à genoux, tous ces incendies qui dansent au milieu de l’orage; un arbre explose! Et ces bombes qui tombent!

La guerre est si belle! Est-ce les grands artistes de ce pays qui préparent une grande fête? Qui donc crée une chose aussi envoûtante à regarder que la guerre? »

Journée de noces chez les Cromagnons Acte II, Nelly

 

Néyif, le père – Tu t’habilles à un rythme d’escargot!

Nazha, la mère  –  Peut-être! Mais au moins je suis belle quand je m’habille, moi! Je ne bedonne pas! Je ne pue pas le cigare, et je n’ai pas de poils grisonnants qui dépassent de ma robe! Je n’ai pas de touffe malodorante qui me déborde d’entre les omoplates! Je sens bon! Que crois-tu? Minable de l’esthétique que tu es!

Néyif  –  Et bien? continue! Poursuis!

Nazha  –  Je vais me gêner, tiens!

Nazha  –  Tu m’écoeures!

Néyif  –  Pas mal!

Nazha  –  J’en ai beaucoup à te dire!

Néyif  –  Je vois ça!

Nazha  –  Tu ne m’as pas rendue heureuse!

Néyif  –  Banal! depuis quand rend-t-on les autres heureux?

Nazha  –  Tu ne m’écoutes pas!

Néyif  –  Le bruit des bombes m’a rendu sourd! Prends-t-en à la guerre!

Nazha  –  Tu me fais honte! Tu parles fort!

Néyif  –  Tu commences à devenir ennuyante.

Nazha  –  Je ne sombrerai pas dans ton jeu! Je n’ai pas l’insulte facile, moi! Je n’ai pas la haine à fleur de peau, moi! Déjà, avant que cette saloperie de guerre nous ait enterrés en amour, j’ai pu cracher le mien! Toi, pauvre Néyif, je te plains! Tu es gros! Oui! Et joufflu! Ton coeur est gros! Tes bretelles craquent! Qu’a été ta vie en dehors de moi?

Néyif  –  Arrête! Tu vas me faire pleurer!

Nazha  –  Ha! Trop tard mon vieux, tu viens de mettre toi-même le doigt sur le bobo! Pleurer! Tu ne peux pas! Tu ne peux pas pleurer mon pauvre vieux! Tu peux juste te fâcher!

Néyif  –  Tais-toi! Tu commences à me fatiguer!

Nazha  –  C’est ça qui va te tuer! Un jour, ton coeur confondra ton sang avec ta colère, et au lieu de pomper l’un, il pompera l’autre! Et alors, alors, alors je te verrai défaillir enfin!

Néyif  –  Nazha! Je t’aime!!

Nazha  –  Mais il y a la guerre! Comment veux-tu m’aimer?

Néyif  –  Bon! Tu as gagné Nazha! Tu as gagné! J’ai mal et je souffre et j’ai des émôôôtions! Voilà! Voilà! Maintenant que j’ai avoué, pouvons-nous passer à autre chose?

Nazha  –  Il n’y a pas autre chose! Après les émotions, il n’y a plus rien! Après les émotions, il y a la guerre!!

Néyif  –  On dirait une vieille actrice qui parle! Les émôôôtions, les émôôôtions, combien penses-tu qu’il y a de tonnes d’émôôôtions dehors! Tu l’entends leurs putains d’émôôôtions nous tomber sur la tête! Un D.C.4 bien placé, c’est quoi ça peut-être? Si ce n’est pas des émôôôtions! Si personne ne s’occupait de ses émôôôtions et de son petit soi on n’en serait peut-être pas là!

Nazha  –  Tu pleures!?

Néyif  –  Et alors?

Nazha  –  Alors tout, peut-être, est encore possible!

Journées de Noces chez les Cromagnons Wajdi Mouawad Acte 3

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d’infos

Presse

Un mélange exquis de cruauté, de brutalité, d’humour et de poésie, s’opère sous nos yeux ébahis, parfaitement assaisonné par le fantastique travail, l’énergie et l’émotion de très beaux acteurs.
Une scénographie simple et belle : un mur jauni et cassé, duquel dépassent antenne et fils électriques, des draps et des bibelots pendus un peu partout comme des traces de la vie qui continue, une table sur laquelle exploseront les drames familiaux et sous laquelle on se cache quand explosent les bombes.
Les 3 coups – Sarah Bussy

L’énergie et le rêve traversent une belle pièce de Wajdi Mouawad montée par Mylène Bonnet.
Le JDD – Jean-Luc Bertet

Cette pièce est un hymne à la vie, au plaisir, en dépit de la mort qui rôde. Les propos échangés sont rudes, triviaux parfois, avec des plages de poésie salvatrice lorsque s’exprime la soeur, jouée par Céline Chéenne, comédienne illuminée qui contraste avec Chantal Trichet dans le personnage de la mère, matrone au grand cœur.
AFP – Yves Bourgade

Création

Théâtre de la Tempête du 21 janvier au 21 février 2010
Production : Cie La KestaKaboche  et Sur le Pont
Coproduction ARCADI avec le soutien de l’ADAMI
En coréalisation avec le théâtre de la Tempête
Diffusion : Scène & Public

Générique

Texte : Wajdi Mouawad
Mise en scène : Mylène Bonnet
Collaboration artistique : Cécile Lehn
Scénographie : Lisa Ternon
Costumes : Josy Lopez
Son : Stéphanie Gibert
Lumière : Pascal Sautelet
Régie générale : Cyril Hames
Avec : Patrick Paroux, Chantal Trichet, Céline Chéenne, Xavier Clion, Philippe Canales, Sabrina Baldassarra et la participation de Cyril Hames
Crédit photos : Antonia Bozzi